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Des territoires de vie collective
Et puis, il y a une autre notion sous-jacente à la loi d’orientation qui me semble intervenir dans ce débat, la recherche de nouveaux territoires de vie collective en-deçà ou à côté de ceux institués depuis la Révolution, les départements et les communes. Les régions n’ont pas créé de territoires nouveaux puisqu’elles regroupent des territoires déjà délimités.
La recherche de ces territoires nouveaux procède du souci de remédier à une lacune évidente. Quels que soient les progrès faits par la coopération intercommunale, et depuis vingt ans ils sont nombreux, des réalisations très importantes et des projets nouveaux concernant notre vie locale commune n’ont pu voir le jour. Les modalités de gestion d’un regroupement communal sont telles qu’il ne peut pas s’étendre aux dimensions de la zone d’existence quotidienne des Français et de fréquentation des services de proximité. L’INSEE s’est attaché à réfléchir à cette question et a identifié quatre cents territoires, des bassins de vie ou pays, qui rendent les mêmes services que l’ancien territoire communal d’autrefois.
Bien entendu, la carte de ces territoires n’est pas circonscrite avec précision. Il s’agit plutôt de zones qui s’interpénètrent. Elles apparaissent comme des territoires pertinents pour mettre en œuvre avec plus d’efficacité les politiques publiques de l’État et des collectivités locales conjuguément coordonnées. Sur de telles zones, il faudra qu’un système de normes se prête à l’organisation de l’existence quotidienne par les habitants. Si, comme le projet le prévoit, les commissions départementales des élus en charge de la coopération, présentent une cartographie des bassins de vie ou pays opérationnelle, aussitôt va se poser le problème de l’organisation des services de l’État sur ces territoires, l’organisation de la coopération intercommunale et des rapports de l’ensemble avec la population et les activités.
La nécessité d’expression de la société civile
À propos de ces rapports, une innovation qui ne passe pas commodément au Parlement, M. Péricart pourra en témoigner, consiste à ouvrir le droit au référendum d’initiative populaire, c’est-à-dire le droit pour un certain pourcentage d’électeurs de demander au Conseil municipal ou au Conseil de l’établissement public de coopération, de donner leur avis par référendum sur une question d’intérêt capital concernant l’aménagement du territoire essentiellement, le cadre de vie, toute matière où une décision publique peut créer l’irréversible et engager pour très longtemps le sort des habitants, la nature de leurs activités et leurs relations. L’architecture se range dans ces enjeux.
La loi organise, non pas un pouvoir décisionnel du collège des électeurs au premier degré, mais un droit d’appel, un droit de pétition en quelque sorte, offert aux électeurs inscrits pour demander à l’autorité élue de la consulter sur tel ou tel enjeu. Et, tel que le texte est voté, le Conseil municipal ou le Conseil d’agglomération ne sont pas liés par les avis qui seraient rendus par le résultat de tels référendums. Il est bien clair qu’un référendum qui contrarierait ou amenderait substantiellement une décision prise ou sur le point d’être prise par une autorité élue ne peut pas laisser celle-ci indifférente.
Ce projet effraie un peu notre classe politique, depuis deux cents ans, arcboutée sur la théorie de la représentation, c’est vrai. Mais je vous rappelle que dans les pays qui nous entourent, les référendums locaux, même décisionnels, sont de pratique courante, en Suisse, dans certains états de la République fédérale allemande. Aux États-Unis, ils sont usuels. Nombre d’états ou de comtés des États-Unis ont laissé constitutionnellement le pouvoir fiscal aux citoyens, c’est-à-dire que la majoration d’un impôt ne peut y être décidée que par les citoyens. Il y a entre deux mille et trois mille référendums fiscaux par an aux États Unis, c’est vous dire que cela fonctionne sans troubler ni l’ordre social, ni l’ordre institutionnel, ni l’ordre politique des États-Unis.
Alors, le problème devient de savoir si, organisant un pays, par constat de cohésion géographique, sociale, culturelle, les habitants et leurs élus pourront se préoccuper à nouveau de l’architecture, en faire un objet du débat collectif, ou si, au contraire, nous allons continuer à procéder par le maintien, j’ose le dire, de l’apanage d’administrations de l’État. Celui-ci exerce un grand pouvoir en la matière, même s’il est partagé avec celui des collectivités locales. Elles disposent d’un pouvoir d’utilisation du sol fort par l’intermédiaire du plan d’occupation des sols. Ce document ne permet pas toutefois de maîtriser l’architecture et les sites dans lesquels elle s’inscrit.
Telles sont les réflexions que m’inspire votre réunion. Je pense que l’expérience concrète que vous avez de ce sujet, à la fois de l’absence ou de l’existence des normes d’architecture, que les pouvoirs de la contrôler voire de la diriger au travers de procédures administratives et des financements publics, que les rapports que vous entretenez les uns et les autres avec les collectivités locales, doivent nous permettre d’éclairer ce débat extrêmement important pour nous.
Ceux qui militent pour la notion de pays et de quartiers équilibrés au sein des agglomérations urbaines ont sans doute la nostalgie de l’ancien habeas corpus de nos villages, c’est-à-dire du droit des citoyens à jouir ensemble d’un patrimoine d’art, d’architecture, de manière de vivre qui ne soit pas normalisé exclusivement par le pouvoir central.
Les élections ne l’expriment pas explicitement. Mais une telle nostalgie ou, à l’inverse, une telle aspiration, sont profondément inscrites dans les consciences. Cela donne lieu quelquefois à des initiatives qui surprennent ou à des résistances qui sont interprétées de façon partisane. En fait, les Français ne se sentent pas à leur aise dans le cadre de vie tel qu’il a été bâti principalement depuis la Libération.
François LEFEVRE
Préfet - DATAR